Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

mardi 28 juillet 2009

"Le prince des berlingots" de François Nourissier



"Je bats mes souvenirs, je les coupe, je les joue, atouts maîtres ou poussière du hasard, et les regarde réorganiser en dehors de mes craintes et de mes espérances une image cohérente de mon passé. Un livre n'est plus autre chose que le détail pli par pli, levée par levée, de cette partie menée par une ombre contre les simulacres". P 57





Enfin j'ai pu trouver ce livre ! Depuis le temps ! J'aurai été navrée de le lire après la mort de l'auteur ! D'ailleurs cela en aurait été insupportable et douloureux.

François raconte sa vie avec miss P, sa diva comme il la surnomme. Miss P est le surnom de sa maladie : la maladie de Parkinson. Il arrive en rire de ses déboires dus à celle-ci. Comme quoi Fournier n'a rien inventé. Il a seulement un peu copié Nourissier avec son "Ou on va papa ?". Miss P est devenue la compagne de tous les jours. Pas de lamentations, d'images impudiques qui ne sont jamais du lot de l'écrivain.


P 149

"De tout ce qui est humain je n'ai jamais eu besoin que d'une petite quantité. Petite quantité, aussi, de chaque être. J'aime les couche-tôt, les silencieux, les adeptes du moindre mot. Je n'aime pas les âmes palpitantes."
Il parle de sa mort sans perdre son flegme et imagine bien ses funérailles !

P 174

" Les mots, les mots sont là, ils sont de retour, leur garde-à-vous ne mentait pas, leur garde-à-vie (résolution : toujours respecter la chance aléatoire d'un lapsus, et puis, soyons pratique, I et U se touchent après qu'AZERTYUIO a lancé son cri barbare). Les mots sont à la fête de ma vie : sous quelle forme leur rendra-t-on hommage quand on me portera en terre ? (l'expression n'est pas fameuse. Je préférerais : quand on dispersera mes cendres au vent. Mais quel vent ? Et l'urne ? Qu'en fait -on ? Mes cendres sont en urne, ma semence reste en burne. On entend les nocturnes battre lourdement des ailes, dans la grande peur blanchâtre où savent qu'ils volent vers la mort.)"

Un texte qui m'aurait fait rire mais malheureusement, je sais que Nourisser est en train de s'éteindre dans la pire des maladies pour un écrivain : l'Alzheimer qui lui a fait perdre toute notion de beauté, de pouvoir des mots. Sa vie et son oeuvre ! Je m'attends tous les matins à que l'on m'annonce avec soulagement son décès (cela sera un vrai soulagement car il aura fini de souffrir). Je n'aurai pas la chance de le croiser en vrai mais j'ai celle, encore, d'apprécier ses oeuvres, ses écrits qui seront mes compagnons pour le temps que je vivrai !

François Nourissier était lucide en ce qui concerne sa "déchéance" et l'apparition de l'Alzheimer


P 180

"Réagir vite, avec gaieté et réalisme : aller pisser derrière les buissons, se lancer dans une interminable citation, refuser l'usage de l'ascenseur, voyager seul. Tou ça se terminera mal, bien entendu - qui en douterait ? Suis-je tout à fait sûr qu'une neuronale exclut l'autre ? Que quiconque a affronté le Dr Alzheimer n'a rien à redouter de Miss P., et vice versa ? De là à considérer le cruel Dr Alois comme un ogre et la douce cantatrice comme une petite soeur des pauvres : franchissons allègrement le pas. Nous sommes tous ainsi. La recette, le savant mélange, c'est : un tiers compétence médicale, deux tiers ignorance tenace et vigilante. J'ai dû tomber, par instinct, sur des justes proportions car jamais le bon sens ni la peur n'ont, jusqu'à présent, remis en cause ma myopie, mon aveuglement."

Un mystère subsiste cependant et j'en suis presque sure de l'identité du fameux Frédéric qui à lui occupe tout un chapitre "Je fais tapisserie au bal de ma vie" Un certain Frédéric Beigbeder qui ressemble à s'y méprendre à ce portrait !

P 76

"De temps à autre, Frédéric, mon cadet de quatre décennies, me rappelle avec une suave et fraternelle cruauté que j'appartiens à une génération agonisante"

"Frédéric ne veut pas considérer que les générations d'auteurs se succèdent comme les générations de lecteurs, chacune laissant plus ou moins d'alluvions à la généalogie générale des oeuvres".

"Frédéric, quelle est sa position ? Pro du chambardement ? Collectionneur de théories ? Il néglige souvent les textes. Ils les soupçonne de détenir des pouvoirs suspects. Le plaisir de lire est une contamination. Il voit de la luxuriance partout, avant nous, après nous peut-être, quand aura été mené à bien le Grand Ménage, mais à notre place, demain peut-être est-ce acquis déjà : la caillasserie, le désert, rien".
Pour terminer, je laisse donc le mot de la fin à Monsieur Nourissier :

P 68

"La dérision où s'enfonce peu à peu ce reste de vie comme un navire se couche dans la vase de l'avant-port. Les mots servent à déshonorer la maladie. Ils appellent ça humour, élégance, les ploucs ! Élégant, moi ? J'entends mes dents trembler. Je ne touille que par dégoût cette crème ou nagent les mots comme des grumeaux. Gros mots ? Grues-mots, mots crus : manquent de cuisson et de méfiance. Tous les mots ne doivent pas être gros, ni crus. J'essaie de survivre à ce torrent qui m'emporte ; je bois la tasse ; une branche m'assomme au passage ; je suffoque. Voilà la sensation recherchée, redoutée : la suffocation. Bas de soie ou sac de plastique de l'étrangleur -simple question de dosage, de vigilance, d'excitation. Belle mort, non ?"

P 27
"J'en ai un peu assez d'habiter ma guenille avec cette obstination. Miss P ne me passe aucune négligence. Je me sens ensaché ? Eh bien, occupez tout le sac ! Envie de prendre un peu d'exercice, du sport, de tâter de la rééducation ? Une solution toute trouvée : la course en sac. Certes elle n'amuse plus que les enfants, mais quand les vieux s'y risquent, les blancs, les chauves, les boiteux - quels éclats de rire ! N'oubliez jamais d'être un peu ridicules. Pour amuser, ne faites pas dans la dentelle : le gros rire est prisé. Mais si vous tenez à votre train de vie, rangez quelque part, pas trop loin, les mots provocations, pince-sans-rire, humour (noir) : à coup sûr ils serviront."

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