Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

dimanche 3 février 2008

"Histoire d'un Merle Blanc" Yves VIOLLIER Illustrations F BIDEAUX



Un texte de Monsieur Yves VIOLLIER destiné aux enfants trouvé dans la médiathèque de Challans...











Il faisait un soleil à mettre le feu aux pierres. L'air jaune bourdonnait d'abeilles, et le petit Antoine s'était couché dans l'herbe au bord du talus planté de chênes, derrière la maison. L'ombre n'était même pas fraîche. Des gouttes de sueur s'enflaient sur ses temps et dégringolaient ensuite dans les rigoles de ses joues. Il ne s'en apercevait pas. Il dormait, allongé sur sa marinière bleue. Ou plutôt il rêvait.










Il rêvait. Il écoutait chanter le merle qui était juché dans les branches au-dessus de sa tête. Un fou sans doute celui-la, pour oser pareille roulade par une telle chaleur. Parce qu'il chantait à rendre gorge : il montait, il montait sa musique à des hauteurs invraisemblables et, tout d'un coup, il la dégringolait au plus bas. Où trouvait-il assez de salive pour claironner comme ça dans l'air en feu ? Il fallait que ce fût un merle pas ordinaire. Un merle blanc peut-être. Antoine avait entendu dire que le merle blanc ne laissait pas passer la chaleur. Ainsi sous son plumage immaculé le merle était au frais et pouvait chanter à bec que veux-tu.
















Il le voyait très bien maintenant cet oiseau rare sur sa branche qui pouvait défier la chaleur. Il suivait les battements de son bec où se déroulait sa chanson. Il se perdait dans son oeil rond sans paupière. Il était fasciné, et peu à peu, comme il l'admirait tant, il sentait à la chair de poule qui lui grainait tout le corps, qu'il était en train de devenir oiseau...









C'est un fait reconnu qu'on devient ce que l'on admire. Déjà une sorte de duvet gris avait poussé sur tout le corps d'Antoine. Son nez s'était brusqué et se colorait de jaune. Et de ses espadrilles avaient surgi des ongles noirs.



















Déjà son oeil s'était arrondi. Ce n'était plus du duvet, mais de solides plumes noires et lustrées qu l'habillaient. Car, bien qu'il admirât tant le merle blanc, il ne pouvait tout de même pas lui ressembler au point de se parer au extraordinairement. Il devenait merle ordinaire, avec pour seule marque de sa grande ferveur une petite aigrette blanche au sommet de sa tête, légèrement au-dessus du bec.












Soudain il se sentit des ailes. Et sans autre forme de procès il volla de l'herbe où il était couché. Il monta comme une flêche à cîme du chêne où son ami chantait. Et après l'avoir salué de l'aile, d'un vol tournant autour de la branche, il se posa à côté de lui.
















Le merle blanc se poussa pour lui faire une petite place, inclina la tête d'un bord et de l'autre pour le contempler, sourit en découvrant l'aigrette blanche d'Antoine sur son front noir, voyant là-dedans une marque de leur amitié. Antoine bouleversé lui rendit son rire, et lui fit signe de continuer à chanter.









Alors le bel oiseau, gonflant son blanc jabot, recommença sa musique, fantastique, en roulades, en glissades, des notes en cascades. Antoine, bec bée, se laissait emporter par ce fabuleux concert. C'était fou de bonheur de vivre, fou de louanges au soleil de cet après-midi brûlant, fou d'encouragements à la terre qui était en train de se dorer.


Quand un rrôû claironnant, il s'arrêta, Antoine enthousiaste, qui s'y croyait déjà voulu l'imiter. Il ouvrit grand son bec et, oh ! misère, il émit qu'un pauvre couac fêlé se terminait sur un claquement de son bec qui se refermait. Il était noir , lui, et il avait la gorge complêtement desséché. Cependant il admirait tellement son maître et ami qu'il voulut s'y reprendre. Il essaya de se mouiller la langue à sa salive chaude, il glissa sa tête à l'ombre d'une feuille de chêne, s'enfla ouvrit le bec.




Tout à son affaire, il n'avait pas vu un méchant gamin en marinière bleue et espadrille qui glissait le long du talus en direction du chêne. Il portait dans son poing serré ne fourche de bois nouée d'élastiques. Quand il fut à bonne portée, il pointa sur eux, fit tendre les élastiques et vrr...




Antoine entendit ce ronflement brutal, quand soudain sa tête éclata. Il vit l'éclat d'une fantastique lumière blanche. Et puis plus rien. Le silence.________________________


C'est ce qui le tira de son sommeil. Il entrouvit un oeil. Il releva la tête. Rien que le bourdonnement d'abeille de la chaleur. Malgré l'ombre sa joue était toute mouillée de sueur. Puis il se souvint, son rêve, le merle blanc. Il regarda au-dessus de sa tête : l'arbre était vide, pas une de ses feuilles ne frissonait dans cet air sans air. Il se retourna dans l''herbe et il chercha auprès de lui. Il y trouva son lance -pierres, auprès duquel il y avait le petit corps noir aux pattes déjà raides d'un merle au bec jaune. Etrangement, il avait juste sur son front noir la tache d'une aigrette blanche.
Il caressa les plumes mortes en les lustrant du doigt. Il lui forma un nid dans le creux de ses paumes. Puis le déposant délicatement dans l'herbe, il ramassa son lance-pierres et , s'en servant comme d'un outil il se mit à creuser la terre. Il gratta profond, il ouvrit un trou large. Quand il le jugea suffisant, il y coucha l'oiseau, posas son lance-pierre à côté de lui, et recouvrit le tout d'un talus de terre jaune qu'il régularisa de la main.





FIN


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