Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

mercredi 2 janvier 2008

La légende de VAIRE René BAZIN

La légende de Vairé





par





René BAZIN





Il y a des légendes mortes, qu’aucune lèvre humaine ne raconte, et qu’on
ne trouve plus que dans les livres. Mais d’autres sont vivantes. Telle
est la légende des deux pèlerins, que tout le monde connaît en Vendée,
et qui met encore, chaque année, les habitants en fête.

Comment ne pas la connaître ? Le bourg de Vairé n’a de renom que par
elle. Des maisons blanches qui sont les jeunes, des maisons grises qui
sont les vieilles, un clocher fin, une vue très large : c’est tout
Vairé. Beaucoup de villages en ont autant. Mais Vairé possède sur son
territoire deux croix de pierre, à peu de distance l’une de l’autre, le
long de la route de la Mothe-Achard. La plus éloignée s’appelle la Croix
de l’Âne, la plus proche la Croix des Pèlerins, et, au pied de celle-ci,
deux pierres tombales brisées affleurent le gazon. C’est là que s’acheva
l’histoire.

Elle commença vers la fin du XIIIe siècle, en cet âge où les hommes
bâtissaient tant pour Dieu. Dix-sept cents églises, assure-t-on,
s’élevaient alors sur le territoire qui se nomme aujourd’hui la Vendée.
Les gens de Vairé en avaient-ils une trop vieille et qui menaçait ruine
? N’en avaient-ils pas du tout ? Ce qui est certain, c’est qu’ils
voulurent avoir leur église neuve. Ils la bâtirent avec amour, ils la
firent aussi belle que le permettait leur condition de laboureurs,
ouvriers, ménagères, fileuses de laine. La grande nef terminée, on mit
dessus un clocher, et sur le fin bout du clocher, un couvreur qui
n’avait pas peur alla sceller la croix. Mais, pour que l’église fût
consacrée, il fallait qu’elle eût les reliques d’un saint. Où les
trouver ? Rome était pleine de reliques assurément. Si le Pape
connaissait la détresse de Vairé, il ne refuserait pas de donner quelque
reste précieux des martyrs. Mais Rome était si loin ! Quel audacieux
risquerait le voyage ? Les laboureurs et les artisans se le demandaient
les uns aux autres, et ils secouaient la tête, et ils s’en allaient
chacun chez soi. L’un disait : je suis trop vieux. L’autre disait : je
suis trop jeune. Ceux qui n’étaient ni jeunes ni vieux disaient : je
suis trop pauvre.

Car, en ce temps-là, les chemins n’étaient pas sûrs. Des bandes
pillardes tenaient la campagne. On avait chance d’en rencontrer
quelqu’une, en traversant toute la France et la moitié de l’Italie. Et
même si on leur échappait, si on se tirait sain et sauf du voyage, sans
aventure de grande route, il y avait les hôteliers, gens redoutables
d’une autre manière. Ils étaient nombreux, de Vairé jusqu’à Rome. Ils
prenaient cher. Qui pourrait supporter tant de frais ? La bourse d’un
seigneur aurait à peine suffi.

Voilà ce qu’on pensait à Vairé. Un jour pourtant, deux jeunes hommes se
mirent à parler comme personne avant eux n’avait fait. Ils parurent sur
la place, un dimanche, se donnant la main, et ils dirent :

– Nous irons !

On ne voulut pas les croire d’abord.

C’étaient deux hommes quelconques, deux simples que rien jusque-là
n’avait distingués de la foule, ni leur mine, ni leur courage. Les
voisins dirent :

– Vous êtes fous !

Ils répliquèrent :

– Nous verrons le Pape, et nous lui demanderons les reliques pour notre
église de Vairé.

Quand on les vit si décidés, on fit dire une messe des morts, en
prévision du triste sort qui, sûrement, serait bientôt le leur. Et ils
partirent, n’ayant de ressource que leur grande foi, leur grande
jeunesse et leur bâton.

Adieu Vairé ! Les voilà loin. Ce que fut le voyage, personne n’a pu le
dire. On ne peut que le deviner. Ils voyageaient à petites journées,
quêtant leur pain, couchant dehors, ne faisant de détours que pour
chercher les ponts. D’autres auraient en chemin oublié le but du
pèlerinage ; ils se seraient laissé prendre à la douceur d’un pays neuf,
aux récits des marchands qui conseillent de bien vivre et de s’arrêter
parfois dans une auberge renommée ; ils se seraient mariés peut-être en
pays d’Arles ou d’Avignon, sans plus songer à l’église blanche.

Eux, ils allaient tout droit, jamais las, dans la poussière ou dans la
boue, ayant dans l’âme un seul souci, qui n’avait pas changé. Et ils
arrivèrent à Rome, à la veille du grand jubilé de l’an 1300, et ils
furent reçus par le Pape, alors Boniface VIII, qui leur donna beaucoup
de reliques, et même un petit âne pour les porter.

Ils repartirent, le coeur content, mais bien moins jeunes qu’ils
n’étaient venus. Qu’était-il arrivé ? Avaient-ils voulu pèleriner dans
toutes les églises de la Ville Éternelle ? Se trompèrent- ils de route ?
Furent-ils arrêtés par les voleurs, par la maladie, par la douceur du
soleil et des pays d’olives ? Avaient-ils une bonne raison d’être en
retard, n’en avaient-ils qu’une demie ? Je l’ignore. On ne doit pas les
accuser. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’années se passèrent avant
qu’ils fussent de retour.

À Vairé, on les croyait morts. Les compagnons de leur jeunesse avaient
disparu, ou bien ils étaient devenus grands-pères. Ceux qui avaient
assisté, petits enfants, sur le bras de leur mère, au départ des
pèlerins, commençaient à compter parmi les anciens du bourg. Ils
citaient eux-mêmes l’imprudence fatale de ces jeunes gens, pour modérer
l’élan de la jeunesse nouvelle.

Cependant les pèlerins inconnus, étape par étape, approchaient de la
Vendée. Ils saluaient déjà dans leur coeur l’église qui n’avait pas été
consacrée, faute de reliques. Et les matins se succédaient, et les
soirs, et les matins encore.

Personne ne se doutait qu’une joie fût si proche. Les cloches seules
dans le clocher, les cloches qui voient par-dessus les arbres, la
voyaient venir. Un jour d’avril, tout à coup, elles se mirent en branle,
sans que personne tirât la corde. Elles chantaient à toute volée. Elles
disaient : " Arrivez tous ! Laissez là vos guérets fumants, laissez vos
boeufs et vos étables, et courez tous ! Car ils reviennent, les deux
bons pèlerins de Vairé, ils reviennent avec les reliques. Ils sont déjà
près du Pont-des-Rivières ! "

Tout le monde comprit. En un moment, le souvenir des pèlerins rassembla
les laboureurs, les ouvriers, les ménagères, les fileuses de laine, qui
s’empressèrent vers le Pont-des-Rivières. Les cloches sonnaient
toujours. Ils trouvèrent, au bas de la côte, deux vieillards agenouillés
auprès d’un âne mort de fatigue.

Avec de grands honneurs et de grands soins, on prit la châsse, on
soutint les pèlerins de Rome, qui ne pouvaient plus parler, épuisés par
la marche et par la joie du retour. On se mit en route vers l’église, et
devant le maître-autel, quand les reliques eurent été apportées, les
deux pèlerins tombèrent morts.

Ils étaient morts, mais ils avaient rempli leur mission.






René BAZIN, La Douce France.
Merci au Sacristain des troospeanautes de nous avoir fait parvenir ce texte...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cette légende. Les belles histoires ont souvent un fond de vérité.

Pour une histoire du pèlerinage romain (notamment à partir de la bulle de Boniface VIII en 1300, qui donna le véritable coup d'envoi des jubilés), on peut se reporter ici :

http://www.villemagne.net/site_fr/rome-origine-du-pelerinage-romain.php

où l'on trouvera aussi ainsi de nombreux témoignages de pèlerins dans l'histoire

LinkWithin

Related Posts with Thumbnails