Louis Poirier. À Sion-sur-l’Océan, son nom civil figure encore sur la porte de son appartement. L’homme qui aspirait à toujours plus de tranquillité et de discrétion avait choisi la Vendée pour venir passer ses vacances chaque été, le regard tourné vers l’océan. Louis Poirier, alias Julien Gracq, grand écrivain solitaire et romantique, est décédé le 22 décembre dernier. Il laisse une œuvre immense, nourrie ici ou là de sa fascination pour la mer bretonne et vendéenne.
Une maison à Sion-sur-l’Océan
Julien Gracq. L’écrivain solitaire et romantique est décédé le 22 décembre dernier, à Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire. Il a laissé dans « Les carnets du grand chemin » et dans « Lettrines » des textes évoquant les paysages vendéens :
« Sion : onze heures du matin, ciel aux trois quarts dégagé, mer très calme. Une frise de cumulus blancs, peu élevée au-dessus de l’horizon de mer, reçoit les rayons de soleil de face, et allonge sur l’eau sans rides, au pied de chaque masse cotonneuse, un reflet de lumière blanche presque aussi marqué qu’un reflet de lune. Je n’avais jamais distingué cet effet de lumière (…) ».
Amoureux des paysages, perfectionniste de l’écriture, fasciné par l’océan, Julien Gracq avait choisi la Vendée pour assouvir sa passion pour la mer. Sa fascination était telle qu’il ne s’est jamais lassé du spectacle auquel il assistait chaque été, du haut de son balcon, à Sion-sur-l’Océan. Ce balcon qu’il comparait dans ses écrits à la passerelle d’un paquebot lui permettait d’être, aussi longtemps qu’il le souhaitait, en tête-à-tête avec la mer.
Julien Gracq a passé tous ses étés de 1971 à 1990 en Vendée
Gracq a racheté, en 1970, l’appartement de sa mère, à Sion-sur-l’Océan. Il pouvait y contempler incognito ce qu’il nommait « le spectacle des éléments ».
Incognito ? C’était sans compter sur l’œil averti de deux amis d’enfance, aujourd’hui médecins à Paris et à Bordeaux, qui passaient leurs étés à Sion dans les années 90. Ils partageaient deux passions dans la vie : la médecine et la lecture. Ils témoignent dans « Julien Gracq, Sion est le pays de Monts », un ouvrage réalisé en 2006 par la ville de Saint-Hilaire-de-Riez. « Cette année-là, le premier avait emporté dans ses bagages, outre sa provision habituelle de revues médicales, « Les carnets du grand chemin de Julien Gracq », un écrivain qu’il aimait. (...) Soudain, il eut une étrange impression. Ce « ciel aux trois quarts dégagé », cette « mer calme », cette « frise de cumulus blancs, peu élevée au-dessus de l’horizon de la mer » (...). Était-il possible que l’auteur qu’il admirait tant les ait lui-même contemplés un matin d’été à Sion ? »
Les deux amis menèrent l’enquête et découvrirent à deux pas de chez eux, l’appartement d’un certain Monsieur Louis Poirier, alias Julien Gracq. Ils lui écrivirent. La réponse leur arriva quelques jours plus tard, « une réponse cordiale où ce dernier confirmait ses attaches à la côte de Sion. Il ajoutait qu’il y avait passé tous ses étés de 1971 à 1990 mais qu’il n’y venait plus guère bien qu’il y possédât toujours son appartement, « les années rendant ses déplacements plus difficiles ». Mais ajoutait-il, il était heureux de rester lié de quelque façon à cette villégiature modeste et attachante ».
Gracq avait déjà écrit son attachement pour Sion dans « Lettrines II », paru en 1972. Sion, où, quand il franchissait la porte de son appartement, il se sentait envahi par la mer. Sion qu’il décrivit un soir de brume : « Brume d’orage à Sion et calme plat. Quand l’après-midi décline, le disque du soleil rouge-feu, offusqué, privé de tout rayonnement, se suspend – on dirait à quelques encablures à peine – contre la muraille d’un gris onctueux et gras. Aucune ligne d’horizon n’est en vue nulle part (...). Le sentiment de la distance et de la profondeur s’abolit : les courtines floconneuses s’entrouvrent pour une heure sur les fugaces et inquiétantes intimités de la mer ».
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