Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

lundi 31 décembre 2007

GILBERT PROUTEAU ET LA ROCHE

« Au bord de l'Yon, les berges, les gués, les iris ont gardé la lumière des matins d'autrefois »
... C'est du Prouteau dans le texte.

Le « Yonnais » Gilbert Prouteau dénude des anges

La ville, un roman, son auteur.


Dans le « Sexe des anges », Gilbert Prouteau fait de La Roche l'alpha et l'omega d'un roman riche et sensuel, entre polar et essai psychologique.

On ne se mentira pas. La Roche-sur-Yon n'est pas la matière même du Sexe des anges (1). Peut-être le meilleur roman de Gilbert Prouteau, devant La peur des femmes, L'ombre d'un juif et Tout est dans la fin. C'est celui en tout cas, que l'enfant de Nesmy, qui va sur ses 91 ans, a écrit, en 1952, au summum de sa créativité romanesque.

Femmes, sexe et poésie

Prouteau est un poète qui écrit des romans. Et pas l'inverse. Cette année-là, il a tout pour toucher la gloire littéraire. Avec le Sexe des Anges, il échouera au Goncourt. « Trahi », avec une voix au final. Que reste-t-il de ce bouquin, qui est roman autant que policier, essai psychologique et poésie en prose ? Tous domaines où « le malin vieillard de Mallièvre » (2) a jeté dans un creuset diabolique ses dons de raconteur, d'observateur, de critique social et d'incurable romantique planqué sous un faux cynisme et des farces de carabins.

À tout le moins, un roman de l'école de Paris, ce mouvement qui n'en est pas un, coincé entre fin de la guerre et l'irruption du nouveau Roman. Une coloration, un ton où Prouteau joue sa partition quelque part entre le dernier Mauriac, dont il emprunte le goût pour l'analyse psychologique et l'évocation des sombres secrets de province, et Simenon, dont il admire la mise en scène sobre d'histoires criminelles.


De la prison au palais de justice

Car Le Sexe des anges est, en apparence, une histoire de crime. Homme de cinéma - quel domaine n'a t-il touché ! - Prouteau donne le clap de l'intrigue par un flash-back. Robert Tournier, accusé d'avoir massacré au couteau sa secrétaire et maîtresse Françoise, est à la prison de La Roche. Les os brisés. Que s'est-il vraiment passé ? Son avocat, Me Camille Robin, du barreau des Sables, ne croit pas à ses aveux. Il le fait transférer à l'hôpital yonnais, dans ce qui devenu aujourd'hui l'hôtel du département.

Pendant les dix jours qui restent avant les Assises au palais de justice de La Roche, pour lui éviter la peine capitale (on est en pleine IVe République, l'action étant censée se dérouler en 1950 !) le défenseur de Tournier va remonter les méandres douloureux du passé de son client.

La Roche ? On la voit si peu. Mais la ville est bien l'alpha et l'oméga du roman. Là d'où tout part et tout revient. Où, dans une longue confession à l'hôpital, Tournier revit le drame d'un amour psychotique, impossible et absolu, qui rate sur un malentendu atroce, et se termine dans un flot de sang en meurtre doublé d'un infanticide horrifiant. Les 50 dernières pages, accélèrent le récit à propos.

« Les berges de l'Yon ont gardé la lumière des matins d'autrefois »


On est loin du rythme des premières pages quand l'avocat sablais rêve encore au fil de l'eau : « Au bord de l'Yon, les berges, les gués, les iris ont gardé la lumière des matins d'autrefois ». Me Robin - le double de Tournier - s'identifie à son client dans ce coeur du Pentagone. Qui est qui ? Le jeune avocat sans classe qui veut sortir de l'anonymat et l'intellectuel sans ressort qui s'est perdu dans la poésie et un amour trop fort sont comme unis par un lien halluciné : « Je remonte lentement vers la ville. Je longe la place d'Armes (la place Napoléon de l'époque), ses frontons helléniques et son vide monumental. Les filles du lycée reviennent du stade et je n'ai pas le coeur de savourer leur grâce anguleuse et leur charme acide ». Dans le fond, Gilbert Prouteau n'est-il pas le seul et unique personnage du roman, réfracté à l'infini dans chacun d'entre eux ?




Marc LAMBRECHTS.





(1) Paru chez Grasset en livre de poche collection « J'ai lu ».
(2) Référence au surnom de Voltaire quand il vécut près de Genève à la fin de sa vie (« le malin vieillard de Ferney »).

À suivre, mercredi, Emile Baumann, un ange noir sur la ville.
Ouest-France
Ne pas oublier le site officiel de Gilbert Prouteau que vous trouverez dans mes liens à côté.

Aucun commentaire:

LinkWithin

Related Posts with Thumbnails