Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

jeudi 3 septembre 2009

YVES VIOLLIER DANS LA VIE....Part 2


Les bonnes feuilles



La lettre de Simon à sa mère
par Yves Viollier


BONNES FEUILLES. Le présent extrait du roman Aide-toi et le ciel… d’Yves Viollier marque le tournant décisif dans l’histoire de Marie. Celui où l’héroïne découvre que son engagement pour les autres l’a empêché de voir le désespoir de son propre fils.

Elle referme derrière elle la porte de la chambre de Simon. Elle ouvre le tiroir de la table de nuit, prend l'enveloppe, les mains tremblantes comme une voleuse, s'assied sur le lit. [...]

Elle regarde la corbeille sous la table.
Elle glisse l'ongle dans la pliure du rabat, introduit le doigt, déchire.

Maman, je t'aime.

Elle respire, regarde à nouveau la corbeille.

J'ai tout fait pour essayer de remonter la pente et de m'en sortir. Je n'ai pas réussi. Je n'y arrive pas. Je n'ai pas la force. Est-ce que tu imagines ce que c'est l'angoisse
du réveil et la peur d'avoir à ouvrir les yeux ?
Je sais que tu m'aimes, mais c'est un coeur asséché par ce qu'il a vécu que tu aimes. Sans doute était-ce une erreur d'aller là-bas. J'ai voulu t'imiter et même faire plus que toi, en partant loin. Je n'avais pas les épaules. J'étais trop
tendre, comme le pensaient les frères. Je n'ai pas ta carrure. Tout paraît si facile avec toi.

Tu sais t'occuper des enfants des autres...
Les images d'Haïti me tournent dans la tête comme celles d'un mauvais film dont j'ai été le mauvais acteur.
Je t'aime. Dis à grand-pa et à grand-ma que je les aime aussi. Et mamie Gendreau. Je vous aime tous.

Elle porte la main à sa poitrine pour contenir les battements de son coeur. Il n'a pas signé. Elle savait qu'il ne fallait pas qu'elle lise cette lettre. Pourquoi l'a-t-elle ouverte ? Sans doute parce qu'elle avait au fond ce pincement de culpabilité.
Simon règle les comptes à sa manière, en douceur. Il lui dit qu'il l'aime et il écrit, elle ne retient que ça : Tu sais t'occuper des enfants des autres...

Elle sent qu'elle coule. Tu sais t'occuper...

C'est l'exacte formule de sa belle-mère. Est-ce qu'elle a raison ? Est-ce qu'elle a été une mauvaise mère ? Sa belle-mère a été plus perfide encore, une autre fois : « C'est parce que tu n'as pas pu avoir
d'autre enfant que tu t'occupes des enfants des autres ! »

Est-ce que Simon a été à ce point sous l'influence de sa grand-mère pendant les dernières semaines, sans qu'elle s'en rende compte ? Par sa faute. Elle a pu passer le voir pendant ses longues absences.
Elle se rappelle la scène avec Simon, un soir, alors qu'elle rentrait d'une réunion difficile. Il était debout en haut de l'escalier, à minuit.
- Tu as vu l'heure ? C'est à cette heure-là que tu rentres ?
On aurait dit le mari jaloux guettant sa femme. Elle a failli rire. Elle lui a dit :
- Écoute, Simon, je suis crevée. On en parlera demain.

Le lendemain, ils ont parlé d'autre chose.

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