Ragon met en scène « Napoléon-l'Antéchrist »
La ville, un roman, son auteur.
Dans ses fameux « mouchoirs rouges de Cholet », Michel Ragon consacre de nombreuses pages à la venue de Napoléon à La Roche-sur-Yon en 1808.
La Vendée de ces dernières décennies doit finalement beaucoup au Fontenaisien d'origine Michel Ragon. Sa personnalité démontre que cette « province » est riche de ses contradictions et non pas uniforme comme on voudrait de temps à autre nous le faire croire, parfois de manière subliminale, parfois avec de gros sabots...
D'abord, cet autodidacte, grand spécialiste de l'art contemporain, a écrit La mémoire des vaincus (Albin Michel, 1990), magnifique roman sur le mouvement de l'anarchie libertaire, allant de la bande à Bonnot et octobre 1917 jusqu'à mai 68. Mais il a aussi renouvelé le genre autobiographique avec L'accent de ma mère (1980), sans oublier son émouvante suite, Ma soeur aux yeux d'Asie.
La dignité du petit peuple
Enfin, il a apporté un souffle nouveau sur le récurrent genre « historico-dépressif » des Guerres de Vendée, avec les Mouchoirs rouges de Cholet, paru en 1984, prix Goncourt du récit historique, grand prix des lectrices de Elle, prix Alexandre-Dumas, Prix de l'Académie de Bretagne... Ces 200 pages constituent la chronique villageoise de survivants de la Virée de Galerne et des Colonnes infernales, de 1795 à 1820. Avec ses Dôchagne, Chante-en-hiver, Jacques-le-Tisserand et autre Tête-de-Loup, ces 200 pages témoignent de ce désir qu'a toujours eu Ragon de rendre au petit peuple et aux humbles leur dignité.
Mais si ce roman est celui de toute la Vendée et des Vendéens avec leur histoire, il est aussi traversé par ceux qui font la grande histoire et notamment par Napoléon « l'Antéchrist », comme l'appellent ces Vendéens survivants des horreurs républicaines. Ils songeront même à l'assassiner, lors de son passage en août 1808, avant qu'il n'arrive finalement sans embûche à Napoléon-Vendée (l'ancien nom de La Roche-sur-Yon).
« Vous m'avez construit une ville de boue »
Descendus de voiture, Napoléon et sa suite pataugeaient dans les éboulis et le mortier. Talleyrand, les bas de soie maculés de boue, crut faire un bon mot en disant à l'Empereur :
-Sire, comme le reconnaissait Richelieu, la Vendée est l'évêché le plus crotté de France.
Napoléon lui jeta un regard mauvais... »
Plus loin, l'écrivain vendéen poursuit avec la fameuse anecdote où Napoléon tire son épée du fourreau, pique le mur d'une maison neuve qui s'enfonce dans le torchis frais et se met à hurler « vous m'avez construit une ville de boue ! », destituant l'ingénieur sur le champ !
Philippe GILBERT.
• Les mouchoirs rouges de Cholet existent en livre de poche. Egalement chez Omnibus, dans Gens de Vendée, qui réunit quatre romans, dont celui de Ragon, ouvrage qu'il présente et préface. Prix : 30 €. A lire également, sur la naissance de la ville, Une ville pour un empire, de Philippe Gruel, paru chez Geste Éditions. 22 €.
Demain, le dernier volet de notre série, avec Yves Viollier et Les soeurs Robin.
Ouest-France
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