Un roman charnel où le temps est souvent une pluie fine douce et silencieuse, que le Docteur Alavoine aime pour le halo qu'elle met sur le paysage. Simenon (1903-1987) est particulièrement inspiré pour ce livre écrit en 1946. Son récit pathologique est dépouillé à l'extrême, quasi-désespéré. Certains le considèrent comme son chef-d'oeuvre.
Simenon installe son atmosphère sur la ville
La ville, un roman, son auteur.
La ville, un roman, son auteur.
La Roche-sur-Yon a servi de décor au roman Lettre à mon juge, écrit par le célébrissime Georges Simenon. On y retrouve tout son jus, son atmosphère.
L'auteur de Maigret rédigea ces onze chapitres en 1946, en Arizona. Il a quitté la Vendée depuis quelques mois après y avoir vécu cinq années, sa terre d'asile durant l'Occupation. À cette époque-là, il est certainement influencé par l'histoire d'amour qu'il vit avec Denise (qui sera la mère de trois de ses quatre enfants), car, dans ce « roman yonnais », on retrouve cette veine de l'amour passion, comme plus tard dans le plus connu Trois chambres à Manhattan, adapté au cinéma par Marcel Carné avec Annie Girardot et Maurice Ronet.
Dans l'intrigue de Lettre à mon juge, où le Docteur Alavoine écrit à son juge après avoir été condamné aux assises, l'amour passion a viré au crime. Un « crime d'amour » en quelque sorte, mais qui va a contrario de la morale bourgeoise, qu'elle soit Yonnaise ou autre.
Une ville éblouissante
Au-delà de la fameuse atmosphère, qui constitue la patte du Belge de Liège et le rend si souvent passionnant, le lecteur averti aimera sa description de la capitale vendéenne qui « n'est pas une vraie ville, ce qu'en France nous appelons une ville. Napoléon l'a créée de toutes pièces pour des raisons stratégiques, de sorte qu'il y manque ce caractère que donne à nos autres cités le lent apport des siècles, les vestiges de nombreuses générations ».
Mais il poursuit, plus indulgent : « La Roche ne manque ni d'espace ni de lumière. Il y en a plutôt trop. C'est une ville éblouissante, aux maisons blanches bordant des boulevards trop larges, aux rues rectilignes éternellement balayées par des courants d'air ». Il évoque également la place Napoléon, « esplanade démesurée où les hommes ont l'air de fourmis ».
Mais comme toujours chez Simenon, dans les décors qu'il pose comme dans ses personnages, il faut démêler le vrai du faux, tant il travaille et cristallise sur la « mémoire d'impressions ». Il cite par exemple le Poker-bar, un « café américain », et le Chêne-vert, ainsi que l'hôtel de l'Europe, place Napoléon... Ces lieux n'ont probablement jamais existé. Pas plus que n'existe Bourgneuf-en-Vendée, à une lieue de La Châtaigneraie, où est né le docteur Alavoine ; et pas plus Ormois, près de la Roche, où il tient son premier cabinet (l'une et l'autre peuvent ressembler à Saint-Mesmin-le-Vieux, où a vécu l'auteur).
En revanche, il évoque Fontenay-le-Comte et une des soeurs Lanoue qu'il a épousée. Il rend également un bel hommage à Nantes, mais aussi à Caen, où habite une tante du Docteur Alavoine. Quand il écrit cet ouvrage, il n'est pas sans savoir que la ville a été détruite par les bombardements alliés. Aussi, mouille-t-il son écriture pour détailler à merveille une brasserie caennaise (Chandivert), qu'il considère comme une des plus belles de France. Enfin, il fait de l'héroïne malheureuse de cette intrigue, Martine Englebert, une native de Liège !... À la Roche-sur-Yon, Simenon a bouclé sa boucle.
Philippe GILBERT.
Pratique. Lettre à mon juge, de Georges Simenon, Éditions Presse de la Cité. Existe aussi en livre de poche.
Lire également Simenon, les années secrètes, de Michel Carly, aux Éditions d'Orbestier (19 €). Carly détaille la période vendéenne de Simenon, tant dans sa vie que dans son oeuvre.
Autre référence : la France de Maigret, aux éditions Omnibus, album grand format récemment sorti, avec des photos de maîtres. Prix : 35 €.
À suivre, demain, dans La terre qui meurt, René Bazin fait de La Roche « une sirène maléfique ».
OUEST FRANCE (from maville.com)
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