Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

dimanche 10 janvier 2010

Quand François N rendait hommage à François M


Le 13 avril 1995, François Nourissier avait écrit ce texte en hommage à François Mitterrand. A cette époque, je l'avais lu dans une salle d'attente et la foudre m'était tombée dessus... J'étais dingue de François Nourissier. Son style érudit sans en mettre plein la vue. Certes le sujet était passionnant. Mitterrand, je n'étais pas tout le temps d'accord avec lui politiquement mais ce monsieur était d'une érudition pas croyable. Il me passionnait, j'aimais quand il cherchait ses mots, ses sublimes phrases. Il avait l'oeil pétillant d'une malice digne de nos vieux des campagnes. Attention petit filou, je vais t'avoir. Les interviews avec Yves Mourousi, des cas d'école pour apprentis journalistes. Mitterrand avait cette habitude de juger les gens par leur instruction. Il ne supportait pas la bêtise. Ce n'est pas le cas en ce moment avec Nicolas Sarkozy. Mais ce dernier me fait penser à Mitterrand car c'est un vrai stratège au niveau politique, pour affaiblir ses ennemis. Mitterrand, s'il était vivant verrait que les leçons sont bien apprises. Le coup de l'ouverture. Mitterrand l'aurait fait... Et l'a initié avec la Cohabitation.


En 1996, le 8 janvier, Mitterrand rentrait dans la Grande Histoire.... Je vous livre ce texte pour rendre hommage aux deux François.

Voici le texte de François Nourissier...
Nul homme d'Etat n'est tenu à être aussi homme de plume. Ce n'est qu'en France que la démangeaison littéraire et la révérence pour le beau style sont telles qu'un homme politique se doit de confesser, au moins, la nostalgie pour l'écrivain qu'il aurait pu ou voulu être. L'étroit embrassement de la chose publique et de la chose écrite est un phénomène français: il touche presque tous les premiers rôles.
Quel écrivain a été François Mitterrand? Et d'abord, pour commencer, en est-il un? Entre l'accomplissement littéraire et lui, il y a toujours eu ce handicap: un combat à mener, des arguments à marteler, le pouvoir à conquérir. Il a presque toujours été astreint à produire des affirmations, des certitudes, des condamnations. A chauffer son public. Le doute et ce peu de dérision sans lesquels il n'y a pas de vraie fermentation littéraire lui étaient interdits. Il a parfois tenté d'échapper aux accents et à cette comédie de la polémique, mais bientôt l'inexorable loi du combat politique, qui ignore les nuances, lui imposait sa pugnacité et, comme il était doué pour elle, il s'y livrait avec bonheur. Ecarter ou écraser l'adversaire, ce n'est pas une démarche d'écrivain. L'écrivain se bat plutôt contre soi-même. Il ne faut pas trop s'aimer pour écrire, mais il faut se tenir en haute estime pour se proposer aux suffrages de ses concitoyens. Un candidat ne peut pas douter de soi; un écrivain le doit.

Un homme politique ne deviendra écrivain que s'il disposait, à l'origine, d'un jeu gagnant, et s'il a donné beaucoup de sa force et de son temps à l'oeuvre des mots. Un brin de plume, un talent d'amateur n'y suffisent pas. Il y faut le labeur, une modestie acharnée. François Mitterrand possédait de forts atouts: une familiarité de lettré avec les textes, la curiosité de leurs auteurs, une langue ferme et aux défaillances rares, le recours naturel et abondant à la forme écrite. Le Dictionnaire Bordas des littératures de langue française le crédite d'une «écriture solennelle, incisive, émue ou amusée, mais toujours sobre et exacte», et le range dans «la tradition humaniste et moraliste française». Ajoutons l'ivresse du pamphlétaire, et la description sera complète. Tenons donc pour acquis que Mitterrand peut être, sans flagornerie, incorporé à la tribu des littérateurs. (Il eût fait un académicien des plus honorables.)

Quel écrivain est-il? Une demi-douzaine d'adjectifs dessinerait assez bien son profil. Mitterrand est un écrivain élégiaque, républicain, éloquent, sarcastique, solennel et méchant.

Elégiaque: c'est la qualité le plus volontiers reconnue au président par ses adversaires. Il s'est composé un personnage «vert», bucolique, forestier, terrien, du meilleur effet. La «force tranquille» et l'horizon charentais. C'est là l'un des traits les plus personnels dans l'homme littéraire Mitterrand. Le ruissellement du vent dans le feuillage du tremble, qui peut être assimilé à un écho lamartinien, flatte moins l'oreille de M. Prudhomme que les lointains orages à la Bossuet, qui firent tant pour la réputation stylistique du Général, mais il assure à François Mitterrand un beau capital et des revenus écologiques non négligeables. On aime le voir flâner à Saint-Point et, à Milly, remarquer que le lierre du poète était une glycine. On aime plus encore l'entendre confier que, un voyage le lui permet-il, il «n'oublie jamais le détour par Tronçais, par Bellême, par la Margeride». Tronçais, Bellême, et Chaource, et La Chaise-Dieu, et Brocéliande: on croit entendre - «Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendôme! Vendôme!» - le vieux chant français que nous ne sommes plus nombreux à fredonner. La «forêt gauloise» et gaullienne n'est pas si loin.

Républicain: si Mitterrand fut un socialiste de hasard stratégique, il est, sans doute aucun, un républicain viscéral, et les dérives monarchiques du règne n'y changent rien. Légaliste, humaniste, il a aimé chanter les grandes espérances chimériques qui se sont quelque peu érodées à l'épreuve du pouvoir. Le discours était généreux, édifiant. Relues après quelques années, les pages les plus expéditives ou passionnées du «Coup d'Etat permanent» (1964), de «La Rose au poing» (1973), de «L'Abeille et l'architecte» (1978) donnent parfois le vertige. Le décalage entre les promesses et les réalisations, les indignations et ce qu'elles sécrétèrent navre ou amuse. Mais quelque chose reste stable, que Malraux appelait l' «illusion lyrique», que j'appellerai l'effusion humaniste, le «coeur», comme disait Giscard pour en refuser le monopole à son adversaire, et dont il n'y a pas de raison de mettre en doute la sincérité.

Eloquent: cette qualité de prétoire et de tribune, avec ses connotations IIIe République, aide à expliquer la mirobolante carrière de Mitterrand. Grand orateur à la façon d'hier, que les Français continuent de préférer à la sécheresse et au flegme technocratiques, le président a donné à sa prose le ton sonore, fervent et cambré de son discours. Façon d'écrire assez théâtrale, assez orale, qui fait appel aux nerfs. Le flot des mots enfle, monte, accélère, prend appui sur la répétition, sollicite la sensibilité de l'auditeur - pardon: du lecteur. Le développement se fait période, le nuage des mots roule et devient ténébreux, et soudain, c'est la chute brutale, l'éclair, le coup de patte, de griffe, de fouet. Vieille méthode, mais toujours efficace. La prose balancée est devenue sifflante. La vague des mots se résout en une formule foudroyante et meurtrière. De charmeur l'écrivain s'est fait tueur.

Sarcastique: l'écrivain Mitterrand, emporté par sa pente, n'est jamais plus à l'aise que dans la moquerie. Il grince, il râpe, il décape. Peut-être devrait-on traiter en même temps de l'ironie et de la méchanceté, dont une synergie décuple l'effet. François Mitterrand a les canines aiguisées. Il traite ses victimes comme font le chat ou le chien, qui secouent leur proie blessée sans l'achever tout à fait. L'éloquence pauvre de Michel Debré, la déconvenue de Jean-Marie Domenach après un échec électoral: morceaux d'ironie, comme on dit «morceaux de bravoure», jubilatoires et impitoyables. Un des caractères passionnants du président est le plaisir qu'il semble prendre à la férocité. Elle muscle et vivifie son style.
Solennel: Mitterrand a le ton noble. Et même passablement romain. Lui viennent avec naturel sous la plume les mots «cher», «légions», «empire», l'avocat relayant l'ancien bon élève, le tribun s'abreuvant aux sources de l'éloquence révolutionnaire. Il a compris qu'en France un rien de pompe sied aux hommes publics. Du temps qu'il harcelait de Gaulle, il a reçu de lui des leçons de maintien. Le Général lui a appris à se faire sphinx. Et là où son grand adversaire fascinant cassait le style de son personnage par la goguenardise, Mitterrand a substitué à la gouaille, qu'il eût mal dominée, ces soudains dérapages de la gravité en raillerie cruelle, qui sont sa marque.

Des diverses façons d'être solennel la préférée de Mitterrand reste le constat indigné. Un génocide, une livraison de Mirage ou une expulsion arbitraire appellent la même incrédulité altière et véhémente. Les usages du pamphlet ne sont jamais loin, ni la formule finale en quoi, méchamment, se distille l'emphase protestataire. La démonstration se termine, abrupte, en condamnation de l'adversaire, lequel ne saurait être que pervers, imposteur, canaille et compagnie. Indulgence, gratuité, scepticisme ont rarement place dans le style mitterrandien, qui se doit d'être offensif, harcelant, quitte à réserver à de rares évocations pastorales ou sylvestres le plaisir de rêver et de se souvenir, à quoi l'écrivain aimerait, on croit le deviner, s'abandonner plus souvent. On ne peut pas escalader chaque semaine la roche de Solutré.

Il y a bien entendu quelque chose d'artificiel dans cette façon d'examiner «le style de Mitterrand» (comme Revel démonta jadis celui du Général), sans aborder les épisodes politiques qui le forgèrent ni la dialectique à laquelle ils contraignirent le futur président. Ses livres importants datent de 1964-1980, période de grandes manoeuvres et de polémiques. La forme des textes est alors subordonnée à un besoin d'efficacité partout lisible. Deux grands desseins: se briser ou se bronzer à l'affrontement avec le Général; démontrer que l'alliance communiste, détestable, est indispensable à une victoire électorale de la gauche. Dans les deux cas, il s'agit d'entreprises paradoxales, portant en elles la contradiction. Admirer son adversaire tout en tentant de l'abattre n'est pas facile, non plus qu'élaborer un programme commun avec des «camarades» dont on confisque le vocabulaire sans partager vraiment les idées.

Comment le style que l'on met au service de ces opérations disparates n'en subirait-il pas un fiévreux crescendo? Il faut forcer la conviction, puiser de la vigueur dans la réfutation. Jamais Mitterrand n'est meilleur écrivain que lorsqu'il se défend en donnant l'impression d'attaquer. Il se bat en avant de ses positions, qui ne sont pas toujours sûres. Vieux bretteur, c'est quand il feint de reculer qu'il peut soudain se fendre plus profondément.

Mitterrand a publié treize livres, dont quatre au moins sont tour à tour nerveux, langoureux, persifleurs. Bagage littéraire non négligeable, à tout prendre comparable à celui de De Gaulle, seul modèle et concurrent de Mitterrand en ce domaine, qui partait pourtant favori, ayant placé la barre plus haut et choisi le ton grave. Mais le Général possède une avance irrattrapable: il a trouvé la force de mener à bien ses Mémoires. Là où Mitterrand a recueilli des textes épars et proposé des échantillons d'un savoir-écrire exceptionnel, le Général a immergé dans l'Histoire une histoire personnelle savamment mise en scène, déployé les drapés, fait sonner les cuivres. Eût-il écrit, lui aussi, ses Mémoires, Mitterrand en eût fait un grand livre. Nous en rêvons au conditionnel passé. Pour le composer, il fût devenu l'homme du questionnement et de l'incrédulité que ne peut pas être le Prince. L'année 1994, le président Mitterrand laissa filtrer de lui, et sur lui, des aveux, des confidences, parfois des provocations. Ce faisant, il cessait de se conduire en tacticien et en conquérant: il était, en somme, sur la voie de devenir écrivain, c'est-à-dire un homme partagé, indifférent à son image, indifférent à la victoire. Manque, hélas! le livre. Ce fameux personnage romanesque qu'on a tant dit qu'il était, il était le seul à pouvoir le mettre en mots, à pouvoir explorer et exploiter le «misérable petit tas de secrets». Le seul à pouvoir arracher un peu de temps et de vie à l'exercice de la puissance et au bonheur, pour les donner à l'aventure d'une oeuvre, fût-elle au service d'une légende. Mais, on le sent, nous ne parlons plus ici de savoureuses facilités pour l'écriture, mais d'une passion qui exige tout de son homme et ne tolère pas de n'être que décorative
Je remercie l'Express d'avoir remis en ligne ce fabuleux texte !

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