Yves Viollier "Raymonde"

"Oh Dieu, pourquoi donc en mourant ne nous as-tu pas mués en dieux ! Ma trajectoire quand je m'éfforce de toute mon âme de la maintenir en droit ligne, si je me retourne elle ressemble à ces sillages laissés par les avions, dont le trait un instant précis, peu à peu se dissout, devient flou. Et tout est à refaire, tout s'efface, tout se ternit. Seigneur, donne moi un bout de ton crayon à la pointe si bien taillée, et guide ma main, que je fasse le portrait de ta création, que ce que j'écris te ressemble" Yves Viollier "Raymonde"



"Il va sans dire que la vie n'étant pas une bibliothèque rose elle ne respecte guère ces intentions édifiantes" François Nourissier in "Musée de l'homme"

vendredi 3 avril 2009

Une pensée pour François Nourissier


Tout ceux qui me connaissent savent que j'ai une passion pour François Nourissier. Que dès que je trouve un livre de lui je fonce ! J'adore sa façon d'écrire, la beauté de ses textes. "Eau de Feu" m'a guerrie d'une certaine culpabilité que je trimbalais... La lecture de la dernière page a été pour moi une sorte de renaissance.


Hélas, les nouvelles ne sont pas bonnes ! On le dit atteint de la maladie de Parkinson et pire encore celle d'Alzheimer. Quel triste sort pour un amoureux des mots qui en est incapable maintenant de les reconnaitre, de les apprécier... Pire qu'un cancer ... Tout ce qui a constitué le génie Nourissier est disparu, ne reste que ses livres à lire, à savourer, à redécouvrir.


Je pensais encore à lui ce matin au petit déjeuner. Je crains toujours d'entendre les nouvelles de sa mort certes privisibles. Je vais acheter le mag "Lire" comme tous les mois et je tombe sur ce merveilleux texte de Frédéric Beigbeder sur... Nourissier. Je vous le fait partager sur mon blog.


VIVE NOURISSIER !


«Me voilà entré dans l'hiver de mon corps.» (Prince des berlingots, 2003) J'ai des nouvelles de François Nourissier par ouï-dire, ses amis souffrent de lui rendre visite, il est à l'hôpital dans une chambre qu'il partage avec quelqu'un d'autre, il peine à reconnaître les siens, peut-être aura-t-il passé l'arme à gauche lorsque paraîtra la présente chronique... Je prends le risque d'écrire une page obscène sur la maladie et la mort d'un écrivain que j'admire au-delà du raisonnable et que je n'ai pas connu, même si je l'ai parfois rencontré. Tant pis: Nourissier est au soir de sa vie et je veux écrire ce qu'il représente pour moi, et l'écrire pendant qu'il est vivant. Le «Gardien des ruines» a suffisamment évoqué lui-même sa maladie de Parkinson, sa décrépitude, sa haine de la vieillesse pour que je me sente autorisé à lui emboîter le pas sans voyeurisme.


Quand un vieillard se meurt, Amadou Hampâté Bâ dit que c'est comme une bibliothèque qui brûle. Alors quand un grand écrivain disparaît, c'est quoi? L'incendie d'Alexandrie, la chute des tours de Babel. N'étant pas pompier, tout ce que je peux faire c'est crier «Au feu!». De cet attentat terrible contre la littérature française, il nous faut sauver ce qui peut encore l'être: les livres de Nourissier. Nous leur devons tant. Il nous a enseigné cette sécheresse qui décuple l'émotion. «Mon père est mort le dimanche 17 novembre 1935, vers cinq heures du soir, assis à côté de moi au cinéma où il m'emmenait pour la première fois.»


L'autre jour, j'ai trouvé chez un libraire du XVe arrondissement Le musée de l'Homme, publié en 1978, introspection qui commence par cette phrase: «J'étais devenu mon propre fantôme.» Je l'ai lu en marchant, autour des Invalides, puis sur un banc, sous une pluie fine, sans discontinuer: «J'avais été l'homme des soirées vides et des maisons perdues.» Puis, plus loin, ce trait d'humour: «Ma grande âme chaussait ses charentaises.» Bien qu'académicien, Nourissier est tout sauf académique. Son autodestruction est ultramoderne, sa solitude très contemporaine, sa concision métaphysique.


La postérité de Nourissier sera immense mais il aura souffert, de son vivant, d'avoir sacrifié beaucoup de son temps à l'Académie Goncourt et à la critique littéraire. Etait-ce l'attrait du pouvoir ou la joie de faire lire? Sans doute un peu de chaque. Cette croix de notable des lettres fait aujourd'hui de l'ombre à son oeuvre. Alors disons les choses clairement: à mes yeux, l'écriture postnaturaliste de Nourissier compte plus que celle de Gracq ou de Duras. Le vieux barbu prolonge par son autobiographie cruelle le Sartre des Mots, par son sens de la formule le Montherlant des Jeunes filles, y ajoutant la méchanceté de Barrès, la liberté de Gide, la jubilation de Stendhal et la précision de Constant. C'est le dernier des monstres français. Il a le subjonctif révolté, le verbe rigoureux, le tir juste. «Je voudrais seulement creuser le trait, donner enfin de moi une image que ne paraisse pas avoir estompée sur le miroir une buée de narcissisme.»


Qui écrira encore ainsi dans ce siècle qui commence? Un petit bourgeois (1963) et Une histoire française (1965) sont des classiques. A défaut de génie (2000) un chef-d'oeuvre de mémorialiste. Et Bratislava... Bratislava est sa Fêlure. Qui se termine par cette phrase: «La guerre est perdue, mais il faut continuer de guetter l'ennemie.»


La chronique sur ce lien.



Je ne peux que vous conseiller la lecture des livres de ce vrai amoureux des mots et des belles lettres !

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